Dans le cadre du projet du Centre d’Interprétation du Patrimoine Archéologique de Dehlingen, utilisant la technique du pisé comme structure porteuse, une démarche de recherche et développement a été mise en place pour choisir la terre à utiliser, la caractériser physiquement, définir ses comportements mécaniques et hygro-thermiques, seule puis dans le complexe mis en oeuvre d’un double mur avec isolant au centre. Les études ont été menées en partenariat avec l’ENTPE, l’INSA de Strasbourg et le CRITT Matériaux Alsace. Elles ont été partiellement prises en charge par l’agence régionale de l’innovation.
La terre a été choisie prioritairement par un critère de proximité, puis un critère d’homogénéité du filon afin de garantir une qualité identique constante durant le chantier.
La terre provient de la carrière Karcher de Lorentzen située à moins de 5 km du chantier.
Sa teinte d’argile claire est légèrement teintée de vert.
caractéristiques mécaniques en compression et en traction par flexion du matériau terre
Une série d’essais dont le rapport est joint en annexe a été réalisé par Ali Mesbah du Laboratoire Génie Civil et Bâtiment de l’ENTPE afin de définir l’influence des stabilisants (chaux, ciment) sur la terre présente dans les environs de Drulingen et de définir la composition optimale.
Les éprouvettes ont été fabriquées avec un matériau brut et/ou stabilisé au ciment, à la chaux et au mélange chaux-ciment.
Des essais mécaniques, résistance à la compression simple et en traction par fendage, ont été réalisés sur des éprouvettes âgées de 30 et 60 jours afin de déterminer le mélange le plus approprié.
La cure des éprouvettes a été effectuées en chambre 21° et 65 % d’hygrométrie.
Les essais à la compression ont été réalisés à l’aide d’un test sur les éprouvettes se rapprochant des éprouvettes obtenues par l’essai « Proctor normal », les essais à la traction ont été réalisés par fendage.
Les résultats sont répertoriés dans le tableau ci-dessous :
On remarque tout d’abord que la résistance à la compression est meilleure pour une terre sèche. Pendant la vie de l’ouvrage, la terre sera constituée d’environ 15% d’eau au moment de sa mise en œuvre, la teneur en eau descendra à 5 ou 6% au bout de quelques mois pour finalement se stabiliser à 1 ou 2% au bout de quelques années.
Les essais ont été réalisés en sortie de chambre, c’est à dire sur des éprouvettes encore partiellement humides.
Ayant constaté que la terre sèche a une meilleure résistance que la terre humide, on peut ainsi affirmer que les résultats de ce tableau sont bien inférieurs aux caractéristiques finales obtenues au bout de quelques années.
En observant l’influence de la composition de la terre, on remarque qu’une terre à 6% de ciment obtient la meilleure résistance à la compression en état saturé d’eau. Il a été donc choisi d’employer ce dosage pour les parties inférieures du bâtiment et une terre avec 4% de ciment pour les parties supérieures du mur extérieur.
Le mur intérieur sera réalisé en chaux 2% + ciment 2%.
Les valeurs retenues sont donc les suivantes :
Ciment 6% Rc = 2.3 MPa Rt = 0.18 MPa
Ciment 4% Rc = 2.2 MPa Rt = 0.19 MPa
Aucun essai pour déterminer la résistance au cisaillement n’a été réalisé, mais il est d’usage d’estimer que la résistance au cisaillement est le double de la résistance à la traction.
variations dimensionnelles de ce matériau - retrait / gonflement
Le matériau pisé, même à sa mise en œuvre, contient très peu d’eau (15%), il n’est donc pas soumis à un retrait/gonflement important.
De plus, étant donné que plusieurs jours se seront écoulés entre chaque banchée, la teneur en eau aura déjà fortement diminué au moment de la banchée suivante ce qui fait que le peu de retrait/gonflement possible aura déjà eu lieu. Les effets du retrait/gonflement seront négligeables lors de la vie de l’ouvrage.
fluage du matériau pour les niveaux des charges verticales
Le fluage du matériau est directement lié à la teneur en eau du matériau mais aussi aux charges qui lui sont appliquées.
Dans la note de calcul présentée en annexe, il a été calculé que la contrainte appliquée à la terre est dix fois inférieure à la contrainte admissible.
En associant le fait que la teneur en eau de la terre stabilisée et les contraintes appliquées sont très faibles, on peut aisément en déduire que le fluage sera négligeable.
migration d’humidité
La migration d’humidité à travers la paroi composite en pisé va-t-elle engendrer une accumulation d’eau ? Cette accumulation d’eau peut-elle engendrer des désordres d’ordre mécanique ou d’ordre thermique ?
Cet aspect des études a été l’objet d’une convention entre plusieurs partenaires dans le cadre d’un projet de fin d’études en Génie Climatique et Énergétique à l’Institut National des Sciences Appliquées de Strasbourg par Nadège Frey (tuteur Alain TRIBOIX).
L’étude a porté sur la détermination des caractéristiques thermiques et hydriques du pisé et sur la simulation de son comportement face à la migration d’humidité.
Les simulations ont été effectuées sur le logiciel WUFI.1D, ressource informatique mis à disposition par Gest’énergie dans le cadre d’une collaboration avec nunc architectes.
Le fichier météo utilisé est celui de TRIER en Allemagne (distante de 100km à vol d’oiseau de Dehlingen). Toutefois ce climat est un peu plus défavorable en température et en précipitations que celui de Dehlingen. Les simulations ont été effectuées pour une paroi dont l’orientation est celle des vents pluvieux, or le bâtiment de l’extension sera en partie protégé par les débords de toiture et par les bâtiments côté ouest (qui est la direction des vents à Dehlingen).
Les simulations sous WUFI.1D ont été effectuées avec des paramètres estimés.
Une caractérisation d’échantillons du pisé utilisé a été réalisé par le laboratoire du CRITT MATÉRIAUX ALSACE
Les études ont d’abord porté sur une simulation par méthode dynamique de Glazer permettant d’étudier la question du transfert de vapeur exclusivement.
La simulation observe la teneur en eau du mur intérieur, de l’isolant et du mur extérieur ainsi que la condensation dans l’épaisseur de l’isolant.
L’isolant testé a été d’une part la ouate de cellulose, d’autre part le liège.
Dans un second temps, l’étude a porté sur l’intégration de la notion de transfert en phase liquide, intégrant les notions de sorption et de succion des matériaux. Wufi simule le comportement avec un coefficient de conductivité liquide Dw.
L’étude n’a pu dans un premier temps déterminer le coefficient Dw spécifique d’un mur pisé et encore moins celui composé de la terre de Dehlingen. Le comportement a donc été testé avec deux valeurs Dw opposées afin de comprendre le spectre d’influence de ce paramètre. Les essais en laboratoire sur la terre utilisée ont montré des valeurs proche de la courbe DW2.
tenue du matériau sous cycles gel-dégel
Le pisé est un matériau poreux et contient très peu d’eau (2 % au bout de quelques années). Ainsi, s’il venait à geler, l’augmentation du volume de l’eau liquide transformée en glace serait compensée par les vides dus à la porosité du matériau (34%). Aucune influence géométrique ou structurelle ne serait donc à déplorer.
incidences des contraintes d’occupation du bâtiment
Les locaux sont chauffés à + 19°C ; cet air peut contenir 7 g d’eau/Kg d’air représentant une humidité relative comprise entre 50 et 60 % suivant les températures extérieures.
Ces locaux sont susceptibles d’être utilisés simultanément par 45 personnes maximum, ce qui représente une masse d’eau dégagée de 5 g par personne soit 5 x 45 = 225 g.
Le bâtiment sera ventilé en occupation par un système double flux d’un débit total de 1425 m3/h, soit : 1425/45 = 30 m3/h/personne. Ce débit permet d’évacuer largement l’apport d’humidité.
Les locaux humides ( sanitaires) sont équipés d’une extraction permanente.
conclusion
L’exploitation du bâtiment aura une part négligeable dans le comportement hygrothermique du mur pisé.
Les résultats des premières simulations permettent de souligner plusieurs points :
- sensibilité du paramètre résistance à la vapeur d’eau ;
- prépondérance de l’humidité issue de la fabrication du pisé dans le comportement de la paroi dans les premières années du mur ;
- prépondérance des transferts en phase liquide dans le transfert de masse total (qui rend les résultats plus favorables qu’avec la vapeur seule) ;
- sous les hypothèses énoncées précédemment, le mur intérieur porteur sèche en moins d’un an ;
- le coefficient de transmission thermique U [w.m-2.K-1] permet de confirmer une valeur proche des objectifs visés par l’étude thermique (0,17) ;
- l’incidence des contraintes d’exploitation (humidité dégagée par l’occupation des locaux) est très faible, voire insignifiante sur le mur intérieur (voir ci-joint) ;
- le mur extérieur est quant à lui soumis plus fortement à des variations du fait des intempéries et des saisons, sa composition pourrait donc être différente de celle du mur intérieur.
Décisions issues de ces résultats :
- réalisation en deux temps du complexe, d’où l’utilisation de la préfabrication sur le mur extérieur ;
- privilégier un isolant de type liège pour éviter la saturation de l’isolant pendant la phase de séchage du mur intérieur ;
- composition différente du mur extérieur avec un dosage ciment plus important.
photos Yvon Meyer