Temps pédagogique
jeudi 24 novembre
Les trois petits cochons
Redécouverte en compagnie des enfants d’une classe CM1-CM2 de Nanterre
Nous avons accueilli 17 enfants d’une classe de CM1-CM2 d’une école de Nanterre pour travailler ensemble sur une relecture du conte des 3 petits cochons. Cette intervention s’inscrit dans un projet pédagogique mené par leur institutrice autour des questions de la construction et de la matière.
Les enfants ont été accueilli par un goûter qui fut l’occasion de leur présenter une maquette du groupe scolaire des Courrières dans la ZAC des Groues à Nanterre, et de leur demander de l’aide pour choisir les matériaux.
Un premier temps a permis de leur montrer différents matériaux de construction avec les échantillons présents sur la table (pisé, béton, BTC, verre, polycarbonate, acier, aluminium, pin, hêtre, laine de bois, ouate de cellulose, polystyrène, …) et qu’ils ont pu toucher et soupeser...
Dans un second temps, il leur a été projeté des photos de maisons dans des contextes variés, réalisées avec différents matériaux. Les enfants devaient les identifier par rapport aux échantillons posés sur la table.
Nous avons ensuite réparti les enfants en 5 groupes en leur affectant un paysage (plaine, montagne, désert, mer, forêt tropicale) et des ‘’dangers’’ (vent, soleil, pluie, inondations, …) remplaçant le loup du conte.
Les enfants devaient alors choisir les matériaux appropriés pour chacun des contextes. Il s’aidaient de fiches-matériaux qui indiquaient les ‘’super-pouvoirs’’ des matériaux ainsi que leur points planète.
A l’issue de ce travail, les enfants ont dessiné une maison à partir des matériaux choisis par le groupe. Ces maisons ont alors été découpées et repositionnées dans les paysages. Tout cela s’est déroulé dans une ambiance studieuse, et un silence plein de fierté a accompagné la présentation finale du travail de chaque équipe à l’ensemble du groupe.
Session 4 Matériaux
Vendredi 25/11
atelier 1- 10h00-12h30
Transmettre la culture constructive et la connaissance des matériaux
La journée démarre par un compte-rendu de l’activité pédagogique organisé la veille avec la classe de CM1-CM2 de la veille. Les différentes étapes de la matinée sont rappelées, en soulignant l’implication des enfants, et la curiosité des parents accompagnateurs pris au jeu : présentation et manipulation d’échantillons de matériaux, diaporama illustrant la mise en œuvre de ces matériaux dans des construction, activité dérivée du conte des trois petits cochons. On se souvient qu’outre le raisonnement logique des enfants pour la sélection des matériaux adaptés à leur site, certaines envies et attirances sensibles sont ressortis.
Les supports développés pour l’activité pourront désormais être mis à disposition des membres de l’agence qui souhaiteraient mener une intervention semblable auprès d’autres classes. Le mail de retour de l’institutrice de la classe relate l’intérêt enthousiaste de tous les élèves pour leur matinée.
Un visuel d’une carte matériaux « version architecte » est présentée. Les quelques critères de sélection retenus pour les cartes des enfants sont transformés en une liste foisonnante de critères de disponibilités, propriétés et indicateurs d’empreinte. Les facteurs à prendre en compte dans le choix d’un matériau sont multiples, et la signification de certains d’entre eux reste difficile à appréhender.
Les cartes matériaux du jeu pour enfants sont ensuite redistribuées et le public réparti en groupe réfléchit à les classer selon des critères de plus en plus pointus : transparence des matériaux d’enveloppe, densité du bois, nombre d’étapes de fabrication pour passer de la matière au matériau, poids carbone par m² à R équivalent. Les échanges sont nourris au sein de chaque groupe, et l’affichage des résultats est prétexte à quelques rappels historiques, retours d’expérience, partages de connaissances techniques et d’informations pratiques, points de réflexion et prolongements à creuser.
Le public est mis à contribution pour recenser les outils utilisés par les uns les autres pour se renseigner sur les caractéristiques d’un matériau. Diverses bases de données en ligne sont citées, ainsi qu’une variété d’outils complémentaires dont la liste a été consignée. C’est l’occasion de présenter certains outils moins connus ou maîtrisés repérés par certains membres de l’agence : une pyramide du poids carbone par m3 des matériaux de constructions, un catalogue détaillant le poids carbone au m² pour divers complexes de façade, une carte des ressources localisant les producteurs de matériaux bio et géo-sourcés ainsi qu’un logiciel permettant d’étudier le comportement thermique d’une paroi. Ces outils et leur intérêt sont commentés et discutés. Certains liens sont annexés à ce compte rendu.
Un glissement sémantique est opéré pour permettre de présenter un outil d’aide à la connaissance des produits de construction mis en place il y a plus d’une dizaine d’années au sein de l’agence. Organisée par lots puis par fabricants, une banque de données a été construite en rassemblant petit à petit des documentations techniques (brochures, détails, etc.). Un tableur complémentaire pensé comme un aide-mémoire ergonomique rassemble les informations les plus utiles pour accéder rapidement aux documentations. Une newsletter synthétique avait également été mise en place pour porter à connaissance de tous les pôles certaines informations nouvelles : découverte de produits, retours d’expérience, etc. L’intérêt de faire revivre ces outils est reconnu unanimement, en notant certaines informations supplémentaires qu’il serait intéressant d’intégrer et en rappelant certains écueils à éviter avec un outil de ce type.
La matinée se conclut en abordant plus spécifiquement la question des matériaux biosourcés, souvent employés sous forme peu industrialisées par comparaison aux matériaux conventionnels. Si cet aspect tend à favoriser les circuits courts, il s’accompagne parfois d’un besoin de formation plus important – formation pouvant être répartie entre les pôles et mutualisée ensuite. Dans un premier temps en tout cas, les produits biosourcés industrialisés, souvent sous avis technique, offrent la possibilité de se familiariser avec leurs spécificités tout en restant dans un contexte réglementaire et assurantiel courant, avant d’explorer d’autres pistes plus en dehors du cadre. Par ailleurs, les problématiques d’empreinte écologique, de réemploi et de coût de l’énergie poussent vers l’utilisation de matériaux les moins transformés et les plus démontables possible. Enfin, le caractère essentiel des réseaux locaux est mentionné, ainsi que l’intérêt des architectes à effectuer un travail de terrain auprès des fournisseurs et des artisans/entreprises pour être au fait de l’état des ressources et filières locales.
atelier 2 - 14h00-16h30
Etat des lieux des filières de réemploi
invités
- Noé Basch, Moebius-reemploi,
- Mélanie Carrasco, Apave
- Quentin Chansavang, Bellastock
- Clémence Guinin, BOMA
- Flavie Jeanne, JPS contrôle
- Julien Jussaume-Choutet, Général métal
- jérémie Koempgen, 100 détours
- Benjamin Maillard, MAF
La question de la quantité de matière disponible
Jérémie Koempgen (100 détours) nous fait part de la quantité de fenêtres déposées tous les ans : 6 millions de fenêtres déposées par an. Elles sont pourtant composées de bonne matière, avec des bois résistants qui se sont souvent bonifiés avec le temps. Une partie des fenêtres déposées finissent incinérées ou enfouies en France, alors quoi en faire ? Au total les menuisiers de 100 détours récupèrent 50 tonnes de matière pour leur donner une nouvelle vie, cela correspond à moins d’un millième des fenêtres bois déposées.
Ce réemploi permet alors l’économie de matière, et notamment de certains arbres qui mettent des années à pousser. C’est le cas du Moabi, cet arbre, classe 4 indestructible, met 600 ans à pousser. Il a longtemps été utilisé pour les menuiseries extérieures pour un usage de quelques dizaines d’années. Il est donc important à la dépose des fenêtres de ne pas les envoyer en décharge et de savoir faire perdurer son usage, par respect pour le bois.
Aujourd’hui 50% du carbone d’un bâtiment concerne les matériaux. D’où l’importance de déconstruire afin de récupérer et ne plus démolir. Noé Basch (Mobius-réemploi) dresse le même constat : c’est un gâchis de matière et de matériaux qui auraient encore plusieurs vies possibles : c’est une honte de jeter. « Cela ne va pas dans le sens de l’intelligence humaine ». Le blocage au réemploi provient d’un problème de compétitivité économique, car la marge se réduit du fait de l’importance de la main d’œuvre dans le travail de récupération et de transformation des matières pour les réemployer.
Julien Jussaume-Choutet (Général métal) travaille depuis 25ans dans le secteur du métal. Pour lui, le choc a été de comprendre qu’1 tonne acier = 4,7 tonnes de CO² dans l’atmosphère (extraction, production, mise en œuvre). C’est grâce à cette prise de conscience, qu’il s’est tourné depuis 3 ans vers le réemploi et la remise en service de charpentes métalliques existantes. Cela prend sens avec le cœur du métier d’un charpentier métallique : tout ce qui est fabriqué peut être assemblé et démonté. (Exemple tour Eiffel). Chaque morceaux d’acier démontable est réutilisable et participe à l’économie carbone en évitant de le refondre. 1tonne d’acier remployé = 1 tonne de CO² en moins. Au sein de l’entreprise, cela pose le problème de la rentabilité et mène à faire des expériences, en commençant par récupérer de manière sélective certains éléments de charpente métallique. Selon lui, les charpentiers peuvent traiter ce sujet de manière facile : ils ont la capacité de se fabriquer leurs outils depuis la nuit des temps, ont la capacité de dessiner, de calculer, de fabriquer, et de poser. Alors celle de récupérer et réemployer prend tout son sens dans ce cycle de travail. « On peut être partout sur un chantier de démolition ou déconstruction et récupérer les choses valable et démontable facilement ». Il y a une capacité de diagnostic des structures et expertise du fait de son métier. Il faut ensuit savoir ce qui « vaut le coup » car tout n’est pas réemployable.
Pour Jérémie Koempgen, le réemploi passe par un réapprentissage. Car nous avons perdu les savoirs faire de récupération des matières. Il faut réapprendre à penser à celui qui va réutiliser après nous. La complexité des menuiseries fait que c’est complexe de redissocier, mais il faut apprendre à construire en pensant à la démontabilité, pour permettre de préserver la matière et de nouveaux cycles d’usage.
Noé Basch attire l’attention sur le fait qu’aujourd’hui il y a peu de matériaux démontables, trop de matériaux sont « composites » non réemployables car très complexes à dissocier.
Flavie Jeanne (JPS contrôle) met en lumière que certains matériaux conservés de la bonne manière, révèlent à l’analyse des caractéristiques meilleures qu’une structure neuve. Elle prend pour exemple une mezzanine en structure bois conservé à l’abri de l’eau, car le bois est devenu plus qualitatif avec le temps en se durcissant. Il y a donc amélioration de la qualité du bois.
En effet, Jérémie Koempgen (100 détours) nous parle de ses expériences de fabrication de poutres de lamellé collé utilisé pour des abris à vélo avec charpente en bois surcyclé surdimensionné. Il veut obtenir des valeurs pour les poutres bois produites qui permettrait d’industrialiser par la suite. Car avec des bois récupérés denses et dur, on peut avoir de meilleures valeurs qu’une poutre lamellé collé traditionnelle faite en bois jeune (avec des nœuds par exemple). Il y a aussi la qualité des bois industrialisés qui se sont dégradés avec le temps.
Afin d’y voir plus clair, Clémence Guinin, de BOMA, propose de rappeler les différentes catégories existantes autour du terme réemploi :
Explication des termes du moins énergivore ou plus énergivore :
- Réemploi : un élément réutilisé pour le même usage
- Réemploi avec détournement d’usage : par ex, une porte posée en bardage
- Surcyclage : Prendre de la matière dans la catégorie déchet et la transformer pour améliorer sa valeur et requalifier la matière par l’objet. Un terme non reconnu aujourd’hui, mais considéré comme vertueux par la Loi AGEC : Le but, passer d’une économie linéaire (produire, acheter, jeter) à une économie dite circulaire (produire, acheter, recycler, réutiliser).
- Recyclage : matière déchet transformée mais avec moins de qualité (par exemple le broyage du bois pour faire des panneaux)
- Valorisation énergétique : en chauffage par exemple, brulé pour récupération
- Elimination : Enfoui sans aucun usage
A noter également « Le meilleur réemploi c’est la réhabilitation »
La question de l’assurabilité
Selon Benjamin Maillard, assureur (MAF), en matière juridique le réemploi correspond à un usage identique. La difficulté juridique reside dans le fait que les matériaux puissent avoir les caractéristiques et normes demandés. Pour un matériau qui a déjà vécu, comment s’assurer qu’il aura les capacités de la norme actuelle ?
Souvent, par facilité, c’est un usage dégradé qui est validé, exemple : une fenêtre extérieure utilisée en intérieur, où l’on n’a pas de problème de joint et de passage d’air. Ou bien la réutilisation de la porte coupe-feu en tant que porte intérieure. Le réemploi avec changement d’usage pose moins de question assurancielle car il peut se détacher de l’obligation normative.
Le réemploi est actuellement classé dans la catégorie « Hors technique courante » ou « Usage non courant » car il est hors DTU, sans avis techniques. Une fois déposé un produit ou un matériau ne peut plus être considéré comme sorti d’usine, avec un processus toujours identique certifié par le fabricant.
Dans les contrats d’assurance, des clauses de technique non courante peuvent être insérées.
L’entreprise Mobius-réemploi travaille beaucoup sur les éléments de second œuvre. Les planchers techniques, par exemple, peuvent encore répondre aux normes avec des tests qui permettent d’avoir un procès-verbal qui atteste que les matériaux répondent toujours aux caractéristiques demandées.
Une fiche technique des matériaux peut être réalisée par gisement avec une procédure de test.
C’est un processus lourd mais qui permet de réaliser des fiches assurancielles pour des gros gisements.
Méthodologie qui pourrait être employées :
- Faire des tests en labo qui permettent de voir si ces matériaux peuvent rentrer dans la norme
- Faire abaques de risques suivant les matériaux : quel risque après 5 ans, 10 ans d’avoir un désordre sur ce matériau ? Evaluer le risque (les assureurs pourraient produire ces abaques)
- Evaluer ensuite le processus de dépose (comment on enlève, qui l’enlève)
- Faire des tests aléatoires après dépose
Pour Julien Jussaume-Choutet, le « sourcing » c’est-à-dire l’étape précédant la récupération, établit des limites comme, par exemple, l’âge du matériau : pas d’acier de plus de 20ans. (Sauf dans une démarche patrimoniale, de remaniement par exemple ou les conditions sont différentes). Car avec un acier de moins de 20ans, on limite les risques dans les éléments réemployés, on évite la question de présence du plomb dans les revêtements de surface... Il est également préférable de favoriser les fers d’intérieurs avec des peinture qui s’en vont avec un procédé simple et donc moins couteux, donc exclure les peintures époxy.
Après la récupération, on ne peut pas garantir les qualités d’acier. Il faut recalculer avec une hypothèse basse. L’acier est, de fait, remployé en reconstruction avec une sécurité de surdimensionnement (« si on a besoin d’un 220 on va mettre du 240 »). La récupération des DOE permet de certifier de la qualité du fer ou la provenance des aciers avec des données telles que le numéro de coulée du fabricant. Il existe également des procédés d’analyse pouvant permettre d’assurer la qualité d’un acier, pour une dizaine d’années supplémentaire pour couvrir la décennale par le CTICM pour rassurer tout le monde.
Noé Basch s’interroge : « Est ce qu’on assure les matériaux ou bien la compétence des personnes morales qui ont l’expérience et le savoir faire de l’employabilité de ces matériaux ? » En effet l’assurance est une question récente des années 70, mais les compétences artisanales existent depuis des millénaires.
Selon Benjamin Maillard, les choses avancent : avant pour certains assureurs, les « techniques non courantes » étaient refusées systématiquement. Le développement des énergies nouvelles a ouvert des autorisations de mise en œuvre non courantes. A l’heure actuelle, la pénurie des matériaux et les hausses des coûts de l’énergie, va favoriser le réemploi et donc devrait faire avancer le problème assurantiel.
Mais des interrogations persistent : « Si un sinistre a lieu sur un chantier de réemploi, pourrait on réparer un produit réemployer avec un produit neuf ? »
Il est vrai que si le réemploi sur second œuvre est plus accepté car il n’y a moins de risques de sinistres, le réemploi est questionné lorsqu’il s’agit de la structure du bâtiment.
Pourtant certains projets interrogent : C’est le cas du projet de collège alsacien avec une charpente bois et des murs en brique porteuses qui peuvent être réemployés. Les briques sont conformes aux normes de fabrication, elles seront utilisées dans le cadre du DTU maçonnerie, mais le projet se confronte à des refus, alors que toutes les preuves et la méthodologie sont respectées. Il y a un véritable vide juridique : qui certifie les matériaux. Flavie Jeanne (JPS contrôle) attire l’attention sur la « Solution d’effet équivalent » SEE de la loi ESSOC (2018) avec laquelle un bureau de contrôle pourrait valider de tels procédés.
Il y a également une problématique de propriété et donc de responsabilité.
En effet, si nous reprenons l’exemple du projet : à qui appartiennent les briques ? Car elles seront la propriété de la maitrise d’ouvrage à l’issue de la déconstruction sur site mais elles seront mises en œuvre par l’entreprise de maçonnerie choisie après appel d’offre. S’il y a sinistre, sur qui retombe la responsabilité ? Pour Noé Basch, une piste serait de faire un transfert de propriété des matériaux à un organisme tiers qui pourrait certifier les briques, qui ensuite seraient revendues à l’entreprise qui les posera.
Pour Flavie Jeanne, la Loi ESSOC permet de valider par le CSTB, le Cerema, ou un organisme qualifié tiers indépendant comme un bureau de contrôle.
La question de l’emploi et du coût
Noé Basch : « le réemploi c’est de l’emploi »
Cela pose une problématique financière, car aujourd’hui la démolition-reconstruction reste encore moins chère que la déconstruction puis réemploi.
Le réemploi coute plus cher par le poids de la main d’œuvre, mais on observe une tendance vers l’équilibre avec la pénurie des matériaux post-covid. Aujourd’hui avec le conflit ukrainien et la hausse considérable du coût de l’énergie, le réemploi peut devenir compétitif.
Cependant avec le réemploi, la pose reste plus complexe par moment et il faut payer la dépose initiale.
Aujourd’hui, la très relative compétitivité des filières de réemploi est beaucoup basée sur des emplois d’insertions fortement subventionnés.
Le prix du réemploi risque de rester, surtout si on prend en compte le vrai cout de l’emploi, toujours plus cher que celui d’un produit neuf qui fait des économies d’échelle dans son processus de production.
C’est donc un choix politique de favoriser le réemploi, au-delà de la question environnementale, c’est une question de redéploiement de compétences humaines et donc d’emploi.
Avec la RE2022 on explose les coûts de construction, la hausse des coûts reste stabilisée aujourd’hui dans le monde la construction grâce aux subventions de l’Etat, mais cela ne sera pas soutenable sur du long terme. Les opérations neuves vont devenir très complexes à monter, il faut donc se préparer avec la question du réemploi.
Cela demande une organisation qui doit se faire maintenant avant que l’on y soit contraint par la nécessité. Cela pose un problème car les acteurs ne s’y mettent pas et attendent que cela devienne obligatoire pour entamer le processus l’économie circulaire.
Certaines personnes commencent à s’engager dans les filières, dans les MOE ou MOA, mais elles se heurtent à la réalité des notions de grandeurs : l’investissement, le rapport de rentabilité sur l’économie d’échelle. Il existe un décalage entre ce qu’on devrait faire et ce qu’on fait réellement. Même s’il existe un marché du réemploi. Aujourd’hui, Il faut que cela soit un engagement du maitre d’ouvrage
La question du stockage
Le réemploi à large échelle devra se baser sur un démontage plus systématique à chaque démolition. Cela nécessitera une grande capacité de stockage. Le stockage doit préserver la qualité des matériaux. Cela pose question des surfaces disponibles en intérieur et en extérieur pour le stockage. Dans l’industrie, le temps de stockage est réduit au minimum pour limiter les coûts des temps d’immobilisation dans des bâtiments spécifiques. Il y a un processus à inventer entre la réutilisation in-situ immédiate et le stockage ex-situ longue durée sans connaitre l’utilisation future.
L’idéal serait de pouvoir concevoir en amont avec des déconstructions qui verront le jour dans 2 ans (temps des études) pour minimiser des couts d’entrepôts (En région parisienne, cela est très tendu avec manque de surfaces et coût du foncier élevé). Sans parler du risque que cela devienne l’objet de spéculation avec des plateformes de stockage de réemploi commerciales.
Mais cela pose la question de l’adaptabilité du projet en fonction de la ressource réellement disponible in-fine. Comment déposer un Permis de construire si l’on ne connait pas encore les ressources disponibles au moment du chantier.
Julien Jussaume-Choutet (Général métal), rappelle qu’en charpente les produits réemployés sont redessinés au mm, donc intégrables dans les dessins. On peut « réserver » les matériaux, mais les architectes n’ont pas cette capacité, c’est au maitre d’ouvrage de « réserver ». Il existe aussi des inventaires comme OPALIS, c’est un inventaire des plateformes ou société qui récupère pour le réemploi.
C’est une vraie méthodologie qui doit émerger... La maîtrise d’ouvrage doit acheter ou réserver très en amont les matériaux pour pouvoir garantir l’adéquation de la conception et du chantier.
Mais il faut trouver de la souplesse aussi. Car quand on a les matériaux ou ouvrage à réutiliser, nous devons nous adapter à eux (question des mesures), alors que jusqu’ici ce sont les matériaux qui s’adaptent aux projets.
Noé Basch rappelle également qu’il y a une réelle différence entre les énormes demandes du marché de la construction et la encore faible disponibilité de la déconstruction (exemple des faux planchers).
Diagnostic et réemploi
Comme le diagnostic PMD n’est pas obligatoire au permis de démolir, les propriétaires ne sont pas forcément au courant de devoir faire ce diagnostic. Le taux actuel de déconstruction ciblée est extrêmement faible par rapport à celui de la démolition indifférenciée.
Le rôle du diagnostiqueur est essentiel car permet d’identifier le gisement mais surtout ces capacités de réutilisation. Le diagnostiqueur doit être un professionnel de la construction ayant une compétence élargie des différents systèmes constructifs et mises en œuvre. Nombre de matériaux et produits peuvent trouver un nouvel usage directement. Pour les autres, entrainant une problématique de réponses à des normes ou règlements, une mission complémentaire donnée à tiers indépendant (loi ESSOC) pourrait certifier les matériaux en fonction de l’analyse du risque d’un projet.
L’Etat doit imposer des dispositifs contraignants pour un réel basculement vers une économie du réemploi. On doit également faire comprendre les enjeux entre recyclage et réemploi pour aller vers une vraie prise de conscience de la société.
Certains élus s’interrogent sur le sujet et tâtonnent mais localement des collectivités comme Agglo saint Brieuc affichent des priorité « réemploi et économie circulaire ».
Sans attendre une stratégie nationale efficace, il faut viser d’avancer projet par projet. Le rôle de l’architecte c’est aussi de montrer l’exemple dans les projets, mettre son énergie dans des exemples vertueux. Permettre à un projet d’aboutir pour servir de référence pour d’autres projets.
L’ensemble des participants à la discussion conviennent que dans la situation actuelle il n’y a pas d’autre possibilité que la concertation sur chaque projet de l’ensemble des intervenants pour comprendre et lever les freins. Maitres d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, contrôleur technique, assureur, diagnostiqueur.
Benjamin Maillard confirme que certains assureurs n’ont pas cette connaissance, car ils n’ont pas eu de situation de réemploi mis à part ponctuellement des situations simples. C’est une pratique en développement mais encore peu courante. Il est important de les associer aux discussions.
Flavie jeanne rappelle qu’il y a des documents existants ou en cours d’élaboration comme des Règles professionnelles ou des guides de bonnes pratiques sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour défendre des projets.
Chez chaque acteur de la construction, il va falloir s’adapter et diffuser ce savoir. Certains bureaux de contrôle s’engagent afin de faire des projets différents. Filiance fédère les bureaux de contrôle et permet de définir des orientations générales communes et, en ce sens, peut participer à la montée en compétence sur le sujet.
Le problème dans les projets est de trouver la bonne personne au sein du bureau de contrôle qui soit sensible à ces causes. Il va falloir former de plus en plus sur la prévention du risque en réemploi. Selon Mélanie Carrasco (Apave) il faut apprendre à gérer le réemploi à l’échelle locale pour que cela est du sens, et donc avec des acteurs régionaux formés afin de ne pas s’en remettre à une seule direction nationale hors sol.
discussion autour de la table -18h00-20h00
Le bon matériau au bon endroit
invités
- Jean Michel Biancamaria, Octonome
- Eric Bournique, ingénieur, Mizrahi
- Pierre Brégeon, ingénieur, Arborescence
- Mélanie Carrasco, Apave, référente matériaux bio et géo-sourcés IDF
- Elisabeth Polzella, architecte et enseignante
- Sandrine Puech, architecte et enseignante
- Gabin Wurtz, architecte et ingénieur, Somete +Terrio
La discussion autour de la table a débuté autour de la question de la ressource. En effet, le thème même de la conférence « le bon matériau au bon endroit » peut être lu de deux manières différentes : d’un point de vue macro, avec un matériau issu de ressources et de filières locales, et d’un point de vue micro, en employant le matériau de la manière la plus pertinente au sein du projet de construction, suivant ses propriétés intrinsèques.
Jean Michel Biancamaria travaille principalement sur des projets de maisons individuelles en Franche-Comté. La paille qu’il mobilise dans ses projets est issue de filières locales du fait de la présence d’une économie très agricole dans cette région, avec des bottes de paille de dimensions variées notamment du fait de la proximité de la Suisse. C’est une ressource dont la disponibilité reste assez constante, malgré des problématiques de sécheresse qui tendent à réduire sa qualité, au contraire du bois (bois et dérivés comme la fibre de bois) dont des pénuries apparaissent dans les régions de l’Est de la France (Alsace, Jura…). En effet, si l’on prend l’exemple du douglas, essence que l’on utilise dans les maisons à ossature bois car elle n’a pas besoin de traitement chimique, il est très dur d’en trouver de manière équitable sur tout le territoire français (il vient généralement du Morvan ou du Massif central). De plus, l’intérêt grandissant qu’il suscite peut contribuer à l’apparition de monoculture de douglas néfaste tant sur les sols que sur la biodiversité.
Pour contrer ces problématiques de pénuries tout en proposant des réalisations vertueuses, il dispose de plusieurs leviers : utiliser le plus de matériaux locaux possible, utiliser le moins de matériaux transformés et adapter son dessin à la ressource plutôt qu’avoir recours à des sections non standard. Cela se traduit, dans son cas, par le développement de maisons à paille porteuse afin d’employer au plus ce matériau abondant tout en considérant le bois comme une matière plus rare à employer avec parcimonie. Il met en œuvre des bois de petites sections, plutôt rectangulaires que carrés, via des ossatures continues en portique plutôt qu’avec des structures poteaux poutre (pour une maison individuelle, une structure poteau-poutre mobilise 20m3 de bois, une ossature bois 10m3 de bois).
Le sable est aussi une matière en tension, et l’emploi de sables locaux est possible, notamment en Alsace, mais nécessite beaucoup d’adaptations pour pouvoir faire de la maçonnerie et des enduits.
Pour Gabin Wurtz, la terre est une ressource abondante sur le territoire. Mais l’idéal qui serait d’employer directement la terre présente sur le site de construction se retrouve limitée par trois problématiques :
- caractériser correctement la terre du site
- la terre du site peut avoir une granulométrie qui n’est pas adaptée pour la technique voulue (la bauge ou le pisé porteur ont besoin d’une terre particulière)
- le manque d’artisans locaux qualifiés capables de la mettre en œuvre
Pour répondre au premier frein, la filière manque de moyens d’ingénierie capables de fournir des caractérisations rapides et peu onéreuses de la terre, à l’instar ce que l’on trouve dans la filière du béton, et les artisans ont souvent recours à des moyens très empiriques.
Concernant le second frein, si l’on a du mal à adapter la construction à la ressource, des industries se mettent en place afin de standardiser la terre et de pouvoir adapter la ressource à la construction. C’est le cas d’Argilus ou d’Akterre, qui deviennent marchands de terre et proposent de la terre en vrac dont la granulométrie est maîtrisée, mais on perd de fait le caractère local. De plus, on doit souvent avoir recours à une Appréciation Technique d’Expérimentation (ATEx), délivrée par le CSTB, pour pouvoir mettre en œuvre ces techniques dites « innovantes », malgré l’ironie de ce terme appliqué à des systèmes constructifs millénaires. Rappelons à cette occasion que le béton armé n’a connu un réel développement qu’après la Seconde Guerre Mondiale, et fait donc figure de technique constructive juvénile comparé aux constructions en pierre, en terre crue ou en bois. Ainsi, une ATEx signifie un investissement financier (entre 50 000 et 100 000 euros) et un investissement temporel (compter au moins 6 mois pour effectuer le dossier et les tests). C’est donc une voie dans laquelle les Maitrises d’Ouvrage publiques sont plus susceptibles de s’engager.
Enfin, pour répondre au troisième frein, des systèmes de production industrialisés peuvent être adaptés afin de pouvoir utiliser la terre crue locale. C’est le cas des chaines de productions des briqueteries de terre cuite, par exemple, ou la création de machines que production mobiles telle celle inventée par Nicolas Meunier en Rhône-Alpes pour réaliser du pisé préfabriqué directement sur site. Toutefois, cela ne compense pas l’absence fréquente d’un maillage entreprise locales capables d’effectuer la mise en œuvre.
Si la ressource est présente à proximité immédiate du site et que le territoire dispose d’un réseau d’entreprises permettant de la transformer, ce n’est pas pour autant qu’elle sera employée dans un projet. En effet, en prenant l’exemple du bois, si des communes forestières désirent employer des grumes issues de leurs forêts, les bureaux d’études lors de la rédaction des CCTP n’ont pas le droit de faire de telles prescriptions et de forcer le charpentier à utiliser cette ressource : seules des préconisations sur les caractéristiques techniques sont légales. Les filières bois et pierre mettent en place des Indications Géographiques (IG) afin d’identifier les produits d’une région (tels les « Bois des territoires du Massif central » ou les « Pierres marbrières de Rhône-Alpes »), mais ces indicateurs n’ont pas de périmètre juridique assez fort et apparaissent comme des marques. La mention « ou équivalent » doit être écrite à côté de la prescription dans le CCTP.
Pour contrer ces problématiques, la seule parade fiable est que le matériau appartienne à la Maitrise d’Ouvrage. Dans l’exemple du bois, la commune doit faire un appel d’offre du sciage et mettre le bois à disposition des charpentiers, mais ce n’est pas sans contrainte car cela suppose que les BET donnent les débits de sciage dès l’esquisse, malgré les évolutions du projet. Un autre levier est d’effectuer des préconisations esthétiques suffisamment précises afin d’orienter le choix, mais dans la plupart des cas, il faut donc compter sur la bonne volonté de l’artisan, ou s’assurer de la grande abondance locale de la matière désirée afin qu’employer le matériau prescrit soit synonyme d’économie. Cela reste très approximatif, les pierres chinoises ou indiennes étant tout de même moins chères que les pierres françaises sur le marché actuellement.
Avec la RE2020, le bilan carbone pourrait devenir un levier supplémentaire, mais il est nécessaire de remettre en perspective la part du transport dans le bilan carbone total du matériau, qui serait peut-être négligeable face à d’autres postes. Il convient de même de se questionner sur le réel sens du mot « local » : pour le bois, est-ce que cela fait référence à la forêt où est prélevé le bois ou à la scierie ?
Dans tous les cas, la volonté de la Maîtrise d’Ouvrage est prépondérante, et si cette dernière est peu éclairée sur ces sujets, le combat sera difficile à mener.
Selon Elizabeth Polzella, la pierre est tombée dans l’oubli à l’après-guerre, notamment pour des raisons politiques, et souffre aujourd’hui de beaucoup d’idées reçues : « la pierre, il n’y en a plus », « la pierre, c’est cher », « la pierre, ça demande beaucoup de moyens car c’est lourd » …
Si l’on regarde les cartes éditées par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM), il est possible de voir que la ressource en roches est présente de manière relativement homogène en France. Toutefois, ces roches sont réparties en deux catégories :
- les pierres à bâtir, tel le calcaire semi-tendre ou dur, le grès ou le granit
- les pierres pouvant servir à la décoration ou le revêtement de surfaces, tel le marbre
Si cette ressource est abondante, son exploitation n’est pour autant pas sans écueils. Tous les 15 ans, les carrières doivent renouveler leurs droits d’exploitation en réalisant des études faunistiques et floristiques, un état des lieux du gisement et assurer la remise en état du site après exploitation. En effet, les carrières tombent sous la même réglementation que les décharges, et doivent mettre en caution bancaire la somme d’argent qui permettra de renaturer le site après son exploitation.
Les carrières sont des lieux qui combinent sur un même site l’extraction des blocs primaires, le débitage et le façonnage de la pierre. Les carrières sont des lieux très optimisés, où il y a peu de pertes de matière : 1 m3 de pierre massive implique 1,25 m3 de ressource extraite, tandis que pour le béton 1 m3 de béton coulé induit 6 m3 de ressource extraite. Les déchets produits sont de même traités sur site. Si le transport final de la pierre vers le chantier représente une grosse part du coût et de l’empreinte carbone du matériau, c’est finalement l’aboutissement d’un processus très contrôlé, où chaque m3 transporté sera utilisé.
Il existe plusieurs manières d’extraire un bloc de pierre, ce qui implique le format de la pierre. Une flexibilité existe du fait de la nature même de l’extraction de la matière : une pierre taillée en losange ou en parallélépipède auront le même prix car elles sont issues exactement des mêmes étapes, seuls les réglages de la machine changent.
Construire avec des techniques de construction non conventionnelles (c’est-à-dire n’employant pas de béton armé), est souvent synonyme de beaucoup de compromis pour les Maitrises d’œuvre, parfois en dehors de tout bon sens. En effet, ce sont parfois des matériaux qui ont impliqué de gros investissement (en temps et/ou argent), et les Maitrises d’Ouvrage veulent souvent les montrer, les exposer en façade, même si ce n’est a priori pas le « bon endroit ». Doit-on forcément passer par cet état intermédiaire avant que ces techniques se banalisent et soient acceptées par le grand public ?
A la lumière de sa production architecturale, Sandrine Puech a argumenté que le dessin d’un bâtiment doit être fait en pleine conscience des matériaux, de leurs capacités et de leurs faiblesses, afin d’employer « le bon matériau au bon endroit ». De plus, afin de préserver l’énergie investie dans leur mise en œuvre, il est important de préserver la capacité évolutive du bâtiment au travers de la définition du système constructif. Les ossatures permettent des économies de matières, et il peut être pertinent dans de nombreux cas de choisir des systèmes constructifs permettant de générer de vastes volumes tout en mobilisant le minimum de matière.
Il est important de trouver des systèmes ingénieux afin de réaliser des économies de matières. Un projet développé par l’agence Puech&Savoy propose d’intégrer l’acoustique à la dalle, en réalisant des planchers mixtes (bac collaborant perforés, isolés avec de la laine de roche puis une dalle béton est coulée) et de réaliser par ce biais des économies de faux plafond. Toutefois, cela suppose de tout calepiner en amont et donc d’investir un temps non négligeable.
Poursuivant sa présentation, Sandrine Puech a présenté un projet pour lequel le recours à des poteaux associés à un plancher en caisson, le tout fait en bois, permettait de répondre à des exigences de rapidité et de limiter les nuisances pour le voisinage. Un autre projet, des logements construits au-dessus d’un bâtiment industriel, nécessitait l’emploi du béton afin de répondre aux problématiques de grandes portées.
Éric Bournique (Mizrahi) va dans ce sens, se poser la question du bon matériau au bon endroit doit permettre de garder l’esprit ouvert à tout matériau et ne pas se laisser enfermer dans une pensée spécialisée. Il site l’exemple d’un projet de bâtiment voulu impérativement en bois par le maitre d’ouvrage mais qui situé dans une zone de remontée de nappe a nécessité de couler beaucoup de béton « inutile » pour le lester.
Il faut donc prescrire les matériaux suivant ce que l’on recherche, au cas par cas. Il n’y a pas de solution décontextualisée. Il est primordial de passer du temps à effectuer ce travail de recherche, travail pouvant être fastidieux (faire des tests, vérifier les capacités de le ressource…), et donc potentiellement avoir un processus plus long que de coutume.
Qu’est ce qui oriente le choix d’un matériau ? Certaines propriétés peuvent être de l’ordre de ses qualités spatiales ou mécaniques, mais certaines semblent être moins voire non mesurables (hygrométrie, la notion de paroi chaude et paroi froide), ou faisant recours à des sciences en dehors du champ de l’ingénierie du bâtiment telle la sociologie, ou encore les notions de confort.
Selon Pierre Brégeon, des études auraient démontrées que les écoles faites de bois (avec bois apparent en intérieur) auraient des températures de confort plus faible, et des environnements plus apaisés. L’emploi de certains matériaux pourrait donc favoriser des usages plus sains, et être plus respectés par les usagers (dégradations limitées).
Comme évoqué précédemment, les métiers et les savoirs faire mobilisés sont très différents entre les matériaux traditionnels et ceux issus de processus industriels. Avec les matériaux bio et géo-sourcés, le concepteur est forcé de s’adapter, tandis que la grande force du béton réside dans sa grande plasticité. Alors que l’on a été habitué à des matériaux industriels tous identiques, standardisés, il s’agit d’accepter les aléas et les variations des matières plus naturelles, que l’on contrôle moins. Cette déconstruction n’est pas encore aboutie, et beaucoup de Maitrise d’Ouvrage veulent importer des matières brutes dans leurs bâtiments mais finalement avec un rendu industriel (possible grâce à la préfabrication).
Il existe donc une sorte de dissonance : doit-on se plier à ces volontés d’ultra-contrôle de la matière (et lancer des lignes de production de pisé préfabriqué) ou doit-on lutter et changer de paradigme ?
L’équilibre entre industrialisation des techniques et préservation de l’essence du matériau est instable. Les filières ont besoin de plus se structurer, mais ces sujets restent sensibles et divisent au sein même des filières. L’échelle des projets est aussi essentielle, des petites entreprises artisanales pouvant se retrouver en difficulté sur des grosses opérations. Concernant la paille, est-ce que la construction doit s’adapter aux dimensions de la botte, ou est-ce qu’on doit mettre au point une botte compatible avec les ossatures bois optimisées structurellement ayant 60 cm d’entraxe ? Si l’on veut développer ces techniques et ne pas se limiter à l’auto-construction, tout n’est pas à jeter dans l’industrie. De plus, cela permet de réaliser de beaux projets, vitrine des filières, tout en développant en parallèle des projets plus artisanaux.
Développer un cadre réglementaire peut aussi permettre à ces techniques d’éclore, à l’instar de ce qui a été réalisé pour la filière paille : les Règles Professionnelles de Construction Paille (RCP), éditées en 2012, ont permis de donner un cadre en permettant son développement. La botte de paille est qualifiée par ses qualités (densité, taille, humidité) grâce à une méthodologie mise en œuvre par l’artisan, en dehors du tout système industriel.
Selon Mélanie Carrasco, du bureau de contrôle Apave, il existe deux types de contraintes appliquées au bâtiment : le cadre réglementaire (incendie, accessibilité PMR, …), qui relève de la loi, de fait obligatoire, et le cadre normatif (DTU, Eurocodes, …). Le cadre normatif est divisé en deux familles, les techniques courantes et les techniques non courantes : il est possible de construire avec des techniques non courantes dans la mesure où l’on est assuré pour. Il faut donc rassurer les assurances et impliquer dès les phases amont de conception les BC et les assureurs.
Selon Elisabeth Polzella, la pierre n’est pas forcément chère, et peut être concurrentielle avec des méthodes plus conventionnelles, mais nécessite un processus d’optimisation. De plus, il ne faut pas comparer le coût de 1m2 de voile béton avec 1m2 de mur en pierre massive, mais faire une étude économique comparative globale sur l’ensemble du bâtiment. En lui-même un mur en pierre massive ou en pisé coûte cher mais n’a pas besoin de finition intérieure ou extérieur, n’aura pas besoin de peinture à refaire plusieurs fois sur toute sa durée de vie… Des économies peuvent donc être faites sur d’autres postes.
Mais employer le bon matériau au bon endroit et de la bonne manière suppose plus de temps d’étude, « plus de matière grise pour moins d’énergie grise » et de sortir des habitudes. Cela est aussi valable pour le bois, où la marque de fabrique du bureau d’étude Arborescence a été de remplacer les poutres par des petits éléments triangulés, mobilisant ainsi moins de matière (mais nécessitant plus de temps de réflexion, pas toujours compatible avec les plannings). Plus on passe du temps sur les calculs plus on peut économiser de la matière (tandis qu’en allant vite, on veut surdimensionner pour s’assurer une marge de sécurité).
Un autre avantage aux matériaux bruts, issus de savoirs faire ancestraux, est la réversibilité qu’ils permettent, au contraire de matériaux composites indissociables tel le béton armé. Le retraitement final des matériaux tels le pisé, la pierre de taille ou le bois massif est facilité et leur démontage est possible. Il faut donc savoir où mettre la matière, et quand mettre la matière, afin de générer des économies futures pour permettre la réversibilité des structures. La pierre est notamment très investie de cette image de réemploi, où l’on récupère le matériau pour refaire autre chose, on lui retrouve toujours un usage.
Les matériaux industrialisés se sont développés dans un contexte où l’énergie était peu chère, mais plus cette énergie deviendra onéreuse plus la main d’œuvre humaine va devenir concurrentielle. Le temps du chantier reste aujourd’hui un temps ingrat, avec des métiers peu valorisés. Remettre à sa place l’acte de construire, avec une réelle volonté de qualité, aura un effet de ruissellement positif sur les compagnons, avec la réhabilitation de la notion de plaisir. Le choix des matériaux est donc un choix politique.
Aujourd’hui, le béton (et la plaque de plâtre) absorbe tous les défauts et les manques de compétences des ouvriers, que l’on peine à recruter dans un contexte de forte pénurie. Il est nécessaire de monter le niveau de compétence de tous les acteurs du bâtiment, de la maitrise d’ouvrage comme de la maîtrise d’œuvre, à toutes les échelles, afin de comprendre comment les matériaux fonctionnent. Cela nécessite aussi une plus grande implication dans le projet. Avec l’apparition de chantiers en bois et en pierre, les éléments sont produits ex-situ : le chantier consiste dès lors à les poser correctement et de manière soignée, tout en ayant conscience que ces matériaux resteront apparents.
Ce n’est pas seulement les acteurs du gros œuvre qui sont plus attentifs, mais aussi les corps d’état secondaires (l’architecte va dessiner de manière très précise l’implantation des réseaux dans un mur en pierre et l’électricien sera plus attentif à respecter les préconisations, dialogue renforcé). Au-delà de l’apprentissage de savoir-faire, l’enjeu de formation des compagnons permet d’avoir des personnes plus efficaces donc plus rapides, et plus à l’aise sur les chantiers.
Toutefois, si travailler sur des chantiers avec des matières bio ou géo-sourcées peut être source de valorisation des ouvriers, qui disposent de plus de compétences et se spécialisent, mais restent généralement des métiers très physiques (comparaison entre le métier de plâtrier et celui de plaquiste, artisan piseur). La mécanisation et l’industrialisation de certaines tâches les ont rendues moins pénibles, mais le coût humain s’est déplacé vers un coût environnemental que l’on questionne aujourd’hui.
Cette pédagogie autour des matériaux traditionnels n’est pas seulement réservée aux acteurs de la construction, mais doit aussi être réalisée avec les usagers (on ne rajoute pas des prises n’importe où dans un mur en pisé). De plus, ces matériaux « simples » ne sont pas simples dans leur usage. Telle la terre, ils peuvent être vite dégradés s’ils ne sont pas entretenus, vérité dissonante dans un monde où l’on accepte aussi moins d’accorder du temps à l’entretien de sa maison, dans l’utopie d’une perfection éternelle. La terre peut donc être plus pérenne car plus facile à réparer que le béton, mais dans la mesure où l’entretien est effectué de manière régulière. Il est nécessaire que les bâtisseurs (MOE et MOA) se réapproprient aussi cette notion d’entretien et de transmission du patrimoine, afin de voir et de concevoir au-delà de la garantie décennale.
Il s’agit d’accepter aussi les variations, telle celui du bois qui vieillit. Un bois qui devient gris n’est pas un bois qui pourri, il n’y a pas d’altération de la matière. Il faut accepter qu’un bâtiment puisse changer d’aspect, ou trouver des astuces telle la pose de bois saturés gris afin que les usagers ne perçoivent pas les évolutions de la matière. De plus, ces problématiques d’acceptation sociales sont très liées à un contexte, car les évolutions de teinte du bois ne sont pas perçues de la même manière à la montagne et à la ville, où les bâtiments sont généralement enduits avec un ravalement de façade tous les 15 ans.
Tous les matériaux évoluent, et les pierres n’y font pas exception. Si les « vieilles » pierres peuvent avoir un aspect pittoresque et romantique, une façade nord ne vieillit pas de la même manière qu’une façade sud, avec l’apparition de patines (tel le calcin sur une pierre calcaire). Pour y remédier, on peut ravaler les façades, effectuer des badigeons, des eaux fortes, ou bien même des enduits (la pierre doit-elle toujours être apparente ?). Si les matériaux évoluent, les usages évoluent en même temps, et Elisabeth Polzella s’est interrogée sur cette citation de Snozzi « Si tu cherches de la flexibilité, construit tes murs en pierre ». Semblant quel peu antithétique (la flexibilité semblant l’apanage des structures poteau-poutre), il est vrai que les architectures haussmanniennes ont traversé les siècles, les appartements ayant été divisés sans changer la trame et sans déplacer les murs.
Construire en pierre, c’est aussi retrouver de la vertu à l’épaisseur des murs, ne plus considérer cela comme une perte de place, un gaspillage de m2. A l’opposé du strict minimum, les murs deviennent alors support d’usage, où l’on vient s’assoir dans l’encadrement des fenêtres comme dans les châteaux du Moyen-Age, et apporter une plus grande qualité aux ambiances.
Il faut voir tous les matériaux de construction comme des matériaux précieux, du fait de l’énergie grise qu’ils renferment. Paradoxalement, les matériaux contemporains, industriels, traduisent moins l’énergie qu’on a dû mettre en œuvre pour les produire, au contraire de matériaux plus artisanaux, issus de la main directe de l’Homme. Du fait des nouvelles contraintes économiques, le réemploi va s’imposer de fait, de la même manière que l’on a recommencé à isoler les maisons après chaque choc pétrolier.
Il est temps de payer le vrai coût des matériaux (en incluant les dommages faits à l’environnement dans le prix) et réinventer les métiers du bâtiment. Si la rénovation semble à première vue moins ambitieuse que la construction neuve, il faut se saisir pleinement de ces sujets et se les approprier. Les BET doivent notamment développer des missions de diagnostic des structures existantes.
Ces questions d’image sont primordiales, et notamment pour la filière terre qui souffre de nombreux a priori négatifs quant à sa faisabilité même (« la terre tient-elle quand il pleut ? »). Dès que l’on s’éloigne de la construction conventionnelle il y a un besoin de convaincre ses interlocuteurs et de briser les stéréotypes (pierre « naturelle » versus pierre reconstituée, bois « d’arbre », …). Car si la pierre souffre aussi de préjugés, évoqués plus haut, elle conserve un caractère noble, tandis que le bois est rapporté à la maison fragile des trois petits cochons. Ce besoin de justification permanant peut être usant, mais le grand public a peu à peu vent de ces techniques, qui petit à petit font leur chemin.
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